Trois générations de traîtres

Mes enfants appartiennent à la troisième génération.

C’est plutôt rare, sous nos latitudes, spécialement dans le Sud-Ouest de la France. J’ai fini par le considérer comme une sorte d’expérience marginale de la minorité.

Ce n’est pas comme une couleur de peau : le passing est excellent, nous nous fondons à merveille dans la masse. Contrairement à ce que certains aiment croire, le végétarisme ne se décèle pas au teint d’endive ni au physique souffreteux, nous ressemblons à tout le monde, nous sommes votre collègue, votre voisine, la prof de vos enfants, le gars de la caisse du Picard même, qui sait.

Le passing est excellent, jusqu’à ce qu’il s’agisse de manger ensemble : d’après mes estimations personnelles la conversation arrive en moyenne au bout d’un petit quart d’heure, juste après que la serveuse a pris les commandes et tourné les talons. Les sourcils se sont levés quand j’ai demandé une salade de chèvre chaud sans lardons, et puisque j’ai commandé une assiette de frites pour tout repas, cela semble bien se confirmer, il y a anguille sous roche, je n’ai pas l’air musulmane alors peut-être que j’en suis, il faut demander. On en est encore au small talk, et on n’a rien de mieux à commenter que ce sujet de société que je viens d’apporter sur un plateau – mon sens à moi de l’auberge espagnole.

Je ne crois pas avoir jamais terminé un repas avec des gens que je viens de rencontrer sans avoir commenté largement mon régime alimentaire, développant au rythme folâtre de la réflexion de mon interlocuteur l’étayage philosophique, diététique ( carences/anémie/B12, possibilité de bifurquer vers le thème des antibiotiques dans l’élevage, et même, de là, vers les risques pandémiques et les zoonoses en général ) neurobiologiques ( c’est l’inévitable argument du “cri de la carotte”, où l’on se demande si les carottes ne souffrent pas aussi, qui sait, de se faire cruellement arracher a la terre, cuire et dévorer ), métaphysique voire psychanalytique si je suis avec des collègues lacaniens, c’est déjà arrivé, écologique évidemment, sociologique parfois, assez rarement économique, politique ( option enjeu sanitaire possible ici aussi ) et là, j’en ai souvent marre, je me suis bien trop échauffée et si c’est un boomer ou un masculiniste qui m’entretient, il y a toujours la tentation de suicider la conversation en jouant la variante éco-féministe consistant à défendre Sandrine Rousseau. Banzaï !

En général, on tombe d’accord, et mes interlocuteurs m’avouent, la bouche pleine de chaire en sauce, qu’ils mangent de moins en moins de viande, que d’ailleurs il n’en achètent que sur le marché, ou à la rigueur chez Pineau, le boucher de la rue Montesquieu, que des petits producteurs locaux évidemment, et puis c’est vrai : ils trouvent révoltantes les conditions d’élevages – sans parler de la dimension écologique, la déforestation et tout. Et puis d’ailleurs pour la santé, il parait qu’il ne faut pas manger trop de viande. Le cancer, les risques cardiovasculaires… Da capo !

Le moment croustillant, c’est quand je dois avouer que je n’ai jamais mangé de viande, parce que c’est ainsi que l’on m’a élevée, je suis un spécimen encore assez rare de végétarienne de naissance. Ici les choses prennent une teinte de fait divers… Une famille entière ! Des parents qui ont imposé leur choix individuel, au mépris de tout droit à disposer d’eux-mêmes de leurs enfants, et sans respecter l’âge de raison nécessaire à tout choix éclairé ! Des parents qui ont choisi pour leurs enfants la ségrégation forcée, l’exclusion culturelle, sans parler du risque de carence ! À ce moment là de la conversation il ne m’est encore jamais arrivé de tomber sur quelqu’un qui se rende compte spontanément qu’élever des enfants dans la culture de la viande est aussi un choix que l’on fait à leur place, et qui rendra bien difficile toute réflexion objective à ce sujet : visiblement une fois qu’on est accro c’est compliqué d’arrêter, je m’en rends bien compte pour ma part avec le fromage. À la place, la question qui vient immédiatement ensuite est toute d’incrédulité et d’empathie : est-ce-que je n’ai jamais eu envie de goûter ? En fonction de l’état de mes ressources énergétiques à ce moment de la conversation, plusieurs choix s’offrent à moi. Celui que je préfère consiste à choquer tout le monde, par un parallèle audacieux et révoltant avec le tabou de l’inceste. J’ai à peu près autant envie de manger un steak, dis-je, que de coucher avec mon frère : la question de savoir quel goût ils ont et si vous les trouvez appétissants n’entre pas en ligne de compte. Non, je n’ai jamais eu envie de goûter, et non, ça ne me manque pas. Si vous voulez le fond de ma pensée : c’est répugnant et barbare au dernier degré.

En réalité c’est faux, j’en ai déjà mangé. Toujours par erreur, la première fois au Caire – terre de tous mes traumas, décidément – parce que j’ai mal compris ce que contenait le sandwich qu’on me proposait de partager, je ne connaissais pas l’anglais “liver”, j’ai compris “olive” et j’aime bien les olives. Je ne me suis pas méfiée et j’ai eu le temps de déglutir avant de comprendre.

Ce qui est bizarre dans mon expérience, c’est la manière dont cette conversation se perd parmi les dizaines de conversations similaires que j’ai eu l’occasion de subir depuis que je sais parler, tandis qu’elle est inédite et souvent passionnante pour mon interlocuteur, généralement content de tomber sur un authentique spécimen de mon espèce, la conversation s’annonce moins chiante que prévu. 

C’est moins vrai depuis une grosse dizaine d’années, le végétarisme est mieux connu, on nous prend plus au sérieux et les conversations sont nettement plus tendues, mais essayez d’imaginer à quoi cela ressemblait avant Internet et L214… 

J’ai l’impression que mon expérience sociale de la minorité végétarienne ressemble plus – l’image me tente, en tous cas –  à l’expérience de la différence d’orientation sexuelle. Ça ne se voit pas, les gens peuvent tomber des nues et se montrer très curieux en apprenant mes mœurs contre-nature : mais qu’est ce que je mange, alors ? Est-ce-que ça me dérange s’il y a juste un peu de fond de veau dans la sauce ? Et comment puis-je persévérer dans l’existence sans protéines ? Et le poisson, d’ailleurs, j’en mange, quand même ? 

Pour les relativistes et autres progressistes, il n’y a rien à critiquer, tous les goûts sont dans la nature et chacun a le droit de vivre comme il l’entend. Il ne leur viendrait pas à l’idée de remettre en cause mes choix, mais il ne leur viendrait pas non plus à l’idée de remettre en cause leur orientation alimentaire, puisqu’il ne s’agit que de cela, au fond, de choix individuels relatifs à l’alimentation, non ? Ok pour réduire, un jour il faudra bien, on y pensera quand on y sera, mais arrêter, non, on ne pourrait pas, c’est trop bon.

 Pour ces laïcs, le végétarisme est une opinion respectable, ce que je fais cuire ou non dans mes poêles à frire ne regarde que moi, et puisque je les laisse manger comme bon leur semble, nous pouvons cohabiter en bonne intelligence.

Il y en a qui sentent que c’est bien plus grave que cela, et que la partie alimentaire n’est que la dimension visible d’un iceberg idéologique autrement dangereux. Ceux-là ne me pardonnent pas ma traîtrise à l’espèce, et ils ont bien raison. 

Il y a dans le végétarisme une trahison éhontée de l’humanisme et de la certitude de notre droit, fondé sur l’évidente supériorité humaine, d’exploiter les animaux. 

L’humanisme est un suprématisme : l’humain est pour lui la mesure et le sens de toutes choses, l’espèce solaire autour de laquelle gravite la création des bêtes et des plantes, accessoires et ressources. Conscient de l’exclusivité VIP de sa dignité, l’humaniste considère que l’écrasante supériorité intellectuelle et morale de notre espèce la justifie pleinement  dans son droit au titre de Maîtres et Possesseurs de la nature. Il se trouve en outre que notre espèce est la seule capable du faramineux geste politique consistant à contracter en droit, en conséquence de quoi, et en raison de l’échec du reste du genre animal à se hisser à une telle hauteur spéculative, elle ne peut contracter avec eux et doit se résoudre à les exclure de l’objet du droit. CQFD. How convenient !

J’ai plutôt tendance à penser que cette supériorité nous oblige, que notre conscience nous donne, à nous seuls, des devoirs sans nous donner plus de droits, et que notre crime est d’autant plus grave que précisément nous le faisons en toute conscience, en prétendant même le rationaliser moralement. Les animaux qui tuent le font par instinct et sans pouvoir le choisir, ce qui n’est pas notre cas.

“Ce n’est qu’une vache ou qu’un cochon. Ce n’est qu’un poulet.” Partout la même évidence, leur vie vaut à ce point tellement moins que la nôtre que nous pouvons la leur prendre comme bon nous semble, aussi intégralement que cela nous chante. Non seulement nous pouvons les manger, leur faire l’outrage de les cuisiner, cuisant le veau dans son lait ou les fourrant les uns dans les autres selon notre fantaisie, mais plus généralement nous nous autorisons à les faire naître pour disposer de leurs corps, à les arracher à leurs mères, à les enfermer dans l’ombre et la promiscuité concentrationnaire, à les mutiler sans anesthésie pour que leur folie impuissante ne puisse pas endommager la chair de leurs compagnons d’infortune, à les gaver d’antibiotiques, à les inséminer sans trêve tout en leur retirant leurs petits à peine nés, à les assassiner bientôt dans une usine de mort, après un trajet ignoble en camion ou à fond de cale, où ils termineront leur courte vie suppliciée sous les coups d’employés déshumanisés, dans une angoisse absolue.  

Je pense que Bentham a raison : la question morale pertinente n’est pas “ peuvent ils parler ?” Mais “ peuvent ils souffrir ?” Je me fous bien qu’ils n’aient pas accès à la dignité du logos, ils peuvent souffrir, et autant que nous. Leur détresse, leur angoisse, leurs douleurs ne sont pas moins fortes, moins totales, ni en réalité moins sérieuses que celles que nous endurerions à leur place. Le fait qu’ils n’aient pas les ressources de la philosophie, de l’art ou de la religion pour supporter ce que nous leur infligeons ne rend pas leur souffrance moins terrible, il me semble au contraire qu’elle ne peut la rendre que plus absolue, en l’absence de toute capacité de lui échapper et de la tenir à distance. Une souffrance aussi totale, aussi organisée et aussi immense défie l’imagination. Mais essayez, pour voir : 

1380 milliards d’animaux par an ( incluant l’agonie des animaux marins au fond des filets ).

Cela fait 3,8 milliards par jour. 

En attendant le café arrive, tandis que mon interlocuteur estime que Sandrine Rousseau dessert une juste cause, c’est dommage. 

En guise d’appendice, un florilège des arguments les plus courants : 

  • L’argument physiologique : “les humains ne survivraient pas à une alimentation végétarienne ou a fortiori végétalienne”. Cet argument est faux, on vit très bien sans viande. A fortiori, il est maintenant établi que nombre de cancers et de maladies graves résultent d’une surconsommation de viande. Toutefois il est vrai qu’une alimentation végétalienne nécessiterait de se supplémenter en vitamine B12. C’est selon moi un argument fort contre le végétalisme, mais cet argument se discute aussi, ce que je ne ferais pas ici. 
  • L’argument de la chaîne alimentaire, ou l’argument de la nature, qui fait tout à coup et bien opportunément de l’homme un animal comme les autres. “Si le lion ne s’embarrasse pas d’éthique, pourquoi l’homme le ferait-il ?
    • L’homme a la possibilité de choisir, il a la capacité morale, qui lui permet justement de substituer le droit à la violence. C’est cette capacité qui fonde notre devoir, comme le disait Kant, tu peux donc tu dois. Le lion n’est pas un agent moral, l’homme si. Que les animaux ne disposent pas de cette capacité morale ne nous dispense nullement de notre obligation. Cela nous donne des devoirs, cela ne leur enlève aucun droit. 
    • Il n’y a par ailleurs rien de “naturel” dans la manière dont on triture génétiquement, élève en batterie et tue à la chaîne des milliards d’animaux.
  • L’argument de l’homme préhistorique. “Les hommes préhistoriques mangeaient de la viande, donc nous devrions le faire aussi.” On voit mal en quoi les hommes préhistoriques formeraient un modèle. Tout ce que fait l’homme préhistorique est-il moral ? On confond le fait et le droit, et par ailleurs, on peut aussi remarquer que l’homme préhistorique mangeait beaucoup moins de viande que nous, et certainement pas dans les conditions d’élevage industriel qui sont les nôtres. 
  • L’argument du cri de la carotte. C’est une forme d’argument par la pente glissante, qui pense qu’on sera conduit, si on accorde des droits aux animaux, à en accorder au végétaux et à ne plus rien pouvoir manger. Il est remarquable que quelqu’un qui niait à l’instant la sensibilité des animaux se préoccupe soudainement de celle des carottes, mais en tous les cas, si l’on fait de la capacité à souffrir la pierre de touche, on doit pouvoir continuer de manger les végétaux, qui n’ont pas de système nerveux central.  
  • L’argument des choses plus importantes. “Commençons par nous préoccuper des souffrances des humains, avant de s’intéresser à celles des animaux.” L’un n’exclut pas l’autre. Se préoccuper de la souffrance des animaux n’exclut pas de se préoccuper de celle des êtres humains.
  • L’argument du plaisir. Il est indéniable que les hommes prennent plaisir à consommer de la viande. Que quelque chose fasse plaisir n’a jamais fait que cette chose soit morale, imagine-t-on un pédophile se défendre ainsi ?
  • L’argument de la coutume. C’est le plus fort selon moi. Comme le pensait Pascal,  “La coutume est toute l’équité, par cette seule raison qu’elle est reçue. C’est le fondement mystique de son autorité. Qui la ramènera à son principe l’anéantit.” Les gens exploitent et mangent les animaux parce qu’ils pensent que c’est juste, et ils pensent que c’est juste parce qu’ils l’ont toujours fait. Mais que quelque chose ait duré longtemps ne fait pas que cette chose soit moralement justifiée. Il n’y a pas de lien logique entre la longévité d’une pratique et sa pertinence morale.
  • L’argument de la dimension culturelle est un avatar de cet argument de la coutume, souvent utilisé dans le cadre de la défense des corridas et autres jeux taurins. L’exploitation animale représenterait une part non négligeable de notre culture, et ce serait un crime contre notre identité culturelle que d’y mettre fin. Outre qu’on peut reprendre la réponse sur l’absence de lien entre longévité d’une pratique et droit moral de cette pratique, on peut ajouter que ce n’est pas parce qu’une pratique appartient à la culture d’un peuple qu’elle en est automatiquement justifiée. Les excisions, les viols rituels du Malawi, les crimes d’honneur et les mariages forcés sont aussi des dimensions de certaines cultures, dont on voit bien qu’elles ne sont pas soutenables moralement. 
  • l’argument de l’avenir des exploiteurs. “Que vont devenir les bouchers et les producteurs de viande ?” Il faut en effet travailler politiquement et socialement à rendre cette révolution possible.
  • L’argument de la disparition des animaux. “Si on n’élève plus les cochons ou les vaches, alors il n’y aura plus de cochons ni de vaches ?” En effet. Quel mal y’a-t-il à ne pas faire naître des milliards de bêtes vouées à une souffrance infernale toute leur vie ? Ces races sont des créations humaines, produites dans des proportions industrielles, et on peut si on veut préserver leur existence envisager des sanctuaires, ou les élever pour le plaisir de leur compagnie. 
  • L’argument de la bonne viande chez le boucher. Celui-ci permet de se voiler la face et de se donner meilleure conscience. Il y a certes des conditions d’élevages moins atroces que d’autres, mais à l’échelle de la planète, la réalité est celle de l’élevage industriel. En France :
    • 83% des 800 millions de poulets de chair sont élevés sans accès à l’extérieur.
    • 69% des 48 millions de poules pondeuses sont élevées en batterie de cages.
    • 99% des 36 millions de lapins sont élevés en batterie de cages 
    • 95% des 25 millions de cochons sont élevés sur caillebotis en bâtiments.

Dans tous les cas, les animaux sont abattus bien avant leur espérance de vie, (42 jours pour les poulets, 6 mois pour des porcs, etc…), et dans des conditions très souvent barbares. 

  • L’argument du destin ou du finalisme. “C’est comme ça. C’est bien triste, mais ces bêtes sont nées pour cela. Les cochons sont faits pour être mangés.” On fabrique un destin là où il n’y a que de la responsabilité. On peut soutenir n’importe quelle atrocité avec cet argument. On retrouve un peu là la pensée de Kant, qui faisait des animaux des moyens en vue d’une fin qu’est l’homme. On peut envisager des raisons religieuses de soutenir cela, mais rationnellement, cela ne me semble pas tenable, cette thèse est profondément arbitraire. 

2 réflexions sur « Trois générations de traîtres »

  1. Nous voici alors après la résurrection : «  le premier repas «  ( sourire)

         Parmi tous les arguments liés à la cause animale et au régime végétarien que vous avez brillamment détaillé et écrit, il me semble qu’ils sont tous à charges…

          Il manque à mon sens celui qui relie  ( shibari n’est-ce pas …), qui attache, sous forme de convivialité et naturellement de gourmandise , un plaisir à partager entre amis, en famille, comme on peut le faire également en société ( …Pour l’intronisé que j’ai été au bœufs de Bazas.)

      Pour sourire un peu,  on raconte que lorsque on invite un ou une végétarienne et qu’il ou elle amène des fleurs, on ne sait jamais si c’est pour manger de suite ou fleurir la maison.

       Plus sérieusement, et pour prolonger mon raisonnement sur cet autre argument, sans doute le plus fondamental, je veux donc parler du côté culturel pour une meilleure intégration.

         Et oui, carrément j’insiste…! Ce côté culturel vous en avez détaillé un premier pilier, mais pour le boomer que je suis … (sourire), c’est important,  c’est surtout celui qui marque en effet l’intégration en un lieu, une région, conduisant à s’assimiler dans une société où l’on prend des responsabilités.

    «  Assimilation »  Ce dernier mot ne devant pas du tout plaire à une certaine S. Rousseau.

        Vous l’aurez compris, je suis un odieux mangeur de viande. Comme le dit si bien Florence Foresti ( … que je préfère et de beaucoup à S. Rousseau ) dans un de ses sketches : «  un homme quand on lui demande ce qu’il veut manger … c’est toujours de la viande et des patates ! «  Ils acceptent occasionnellement de nous faire plaisir en goûtant un petit velouté de panais par–ci, une petite salade de roquette par là. «

      Pour étayer mes propos, Sur le côté philosophique : «  Dis moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es « :

       «  Parmi les aphorismes du « gastrosophe » Jean Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826), il y a la célèbre phrase « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es », parue en 1825 dans sa Physiologie du goût, ou méditations de gastronomie transcendante. L’aphorisme souligne le lien entre identité personnelle et incorporation de la nourriture, mais il invite aussi à penser l’expérience culinaire comme une pratique ritualisée. Les arts et délices de la table impliquent en effet des gestes, des normes et des valeurs spécifiques faisant de la cuisine un art performatif. De plus, cuisiner et consommer reflètent et façonnent des structures de pouvoir symboliques, notamment des hiérarchies socio-genrées. Ces actes reflètent également un statut social et des affiliations culturelles. Et dans le même temps, les arts de la table ouvrent un espace pour des pratiques résistantes voire subversives de la vie quotidienne, telles que les décrivait Michel de Certeau dans sa sociologie des « arts de faire » : dans la cuisine, on « bricole » avec sa propre identité et on « braconne » constamment des affiliations culturelles »

       Référence : Hall SHS – Sciences Humaines et Sociales.

        Sur le chapitre politique, je préfère parler d’écosophie que d’écologie. (A suivre avec le  sociologue Michel Maffesoli ) – En effet d’après mes lectures :  L’écologie et l’écosophie traitent du rapport à la nature. Mais leur conception de cette nature est différente. L’écologie parle du respect de la nature, de la préservation de la planète et des diverses espèces végétales et animales. Dans l’écosophie, l’homme n’est pas séparé de la nature, il en est un élément. Nous parlerons dans un cas de respect de la nature et dans l’autre de communion avec la nature. Car nous participons, nous appartenons à une commune nature.

        L’idée de communion avec la nature me plait beaucoup, et je suis triste notamment de ne plus voir comme avant, des vaches et brebis en nombre dans les prairies environnantes.

        On ne peut renier ses racines. Depuis des milliers d’années l’homme est omnivore. Il est une théorie qui permet d’affirmer que grâce au régime carné et protéiné, l’homme a pu couvrir petit à petit l’énergie nécessaire au cerveau, ce qui a permis à ce dernier de se développer dans la boîte crânienne, de garantir ses facultés d’adaptation, et finalement de peaufiner son intelligence.

      Actuellement dans notre société, on ne peut plus tenir des réflexions toutes en nuance. Soit on est pour ou bien alors on est contre. Ce qui me permet de conclure en écrivant qu’à présent lorsqu’un sujet devient objet de militantisme, il nous faut supporter de surcroît la dictature de la minorité.

        Le boomer que je suis, berger dans une autre vie, a vu et voit encore tout un concept de la profession changer, dans le sens où si à une époque nous étions fiers de produire pour nourrir la société, nous sommes rentrés à présent dans un processus de culpabilisation. Nous cachons nos abattoirs et nous sommes tombés dans le règne d’un anthropomorphisme excessif qui n’est pas près de s’atténuer.

       Si l’Egypte est pour vous «  Terre de tous les traumas… «  Les miens certes, se situent dans une façon d’être, à savoir que je refuse à présent d’ôter la vie d’un animal quel qu’il soit, et certains soirs, je préfère me couper de l’obsédante mémoire d’une époque où tel un robot plus que comme un humain, je pensais différemment.

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    1. Merci pour votre commentaire !
      Je pense aussi que la dimension culturelle et conviviale n’est pas pour rien dans le plaisir qu’on peut avoir à en manger. Pour autant, que la convivialité se développe culturellement autour de la viande ne signifie pas que sans viande toute convivialité disparaisse ! Mais on croise là le thème de la culture, de l’identité, du plaisir qu’on a à faire et refaire des plats qui nous enracinent et nous relient… Je ne crois pas que la viande soit nécessaire à cela dans l’absolu, mais elle fait clairement partie de notre patrimoine, ce qui explique aussi le raidissement identitaire que je perçois quand je discute avec des « anti-vg ».
      Etant plutôt dans une visée constructive que culpabilisatrice, j’aurais tendance à défendre plutôt l’idée d’inventer petit à petit de nouvelles traditions, pour que la transition soit joyeuse et non frustrante. Et puis, oui, j’assume aussi l’idée qu’on a droit de laisser tomber en désuétude les traditions moralement indéfendables, l’humanité est capable d’ouvrir les yeux et de sortir du somnambulisme de la répétition. Elle l’a montré à maint reprises et c’est tout à sa gloire.
      Quant à la « dictature de la minorité », il ne faut pas confondre internet et la réalité, je crois : si les vg sont très actifs et polarisants sur internet, dans la réalité, on est autour de 5% ( végans et végétariens en France)… Ca reste pratiquement impossible pour moi de manger dans un restaurant français ( cuisine italienne, libanaise, indienne ça va…). Dans les restaurants scolaires, on a de la chance quand l’option végétarienne obligatoire 1 jour par semaine existe et que ça n’est pas du poisson. Donc non, je ne trouve pas que les végétariens tyrannisent la majorité.

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